Les Recluses dans l’histoire: Nazarena

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NAZARENA

Une femme attirée par le désert


Pendant 44 ans, cette recluse contemporaine a vécu dans une étroite cellule solitaire, complètement enfouie en Dieu avec le Christ. Elle n’a refusé ni ses frères, ni ses sœurs, ni l’humanité et son histoire.

Par sa présence silencieuse en prière continuelle, Nazarena se situe au cœur du monde portant ses espérances et ses défis.

En choisissant la radicalité du désert, la vie de cette femme pleine de vie incarne pour nous aujourd’hui cette parole de Thérèse d’Avila: Dieu seul suffit!


Son enfance aux États-Unis

En 1898, Louis-Théodore Crotta émigre de l’Italie aux États-Unis où il travaille avec acharnement afin de s’y établir avec sa famille. Cinq ans plus tard, son épouse, Maria Ramponi et leurs quatre enfants émigrent à leur tour. Le couple achète une ferme et assume la direction d’une plantation d’arbres fruitiers; deux autres filles naissent.

C’est dans cette ambiance saine que Julia naît le 15 octobre 1907, fête de la grande Thérèse, à Glastonbury, au Connecticut. Elle reçoit une forte éducation chrétienne et est débordante de vie.

Dès l’âge de 3 ou 4 ans, Julia a l’intuition d’une destinée peu banale. À 6 ans, elle fait un rêve qu’elle qualifie de prophétique: Je me voyais déjà adulte et, depuis de longues années, je tournais et retournais dans un labyrinthe obscur sans réussir à trouver une issue. Or voici que soudain, je me suis vue devant une porte grande ouverte sur un paysage d’une indicible beauté… Je pensais que la création devait être ainsi lorsqu’elle serait transfigurée après la résurrection et qu’apparaîtraient les cieux nouveaux et la terre nouvelle dont parle l’Écriture. Or, pendant que je regardais, j’ai vu Jésus qui venait à mes devants entouré d’une troupe d’enfants qui joyeusement me montraient du doigt. Voici qu’à ce moment-là, je suis devenue toute petite comme un enfant de trois ans. 

À la fin de sa vie, elle en donne cette interprétation: Dans le labyrinthe, j’étais une grande personne suffisante et prétentieuse, et c’est bien à cause de ça que je ne trouvais pas d’issue. Mais la rencontre de Jésus m’a rendue toute petite et humble. Il me portait dans ses bras et me serrait contre lui, ce qui pouvait signifier la réclusion, l’appel à rester avec lui dans une grande intimité d’amour. 

Cet appel à la réclusion, Julia prendra beaucoup de temps avant de l’identifier. Elle vivra effectivement comme dans un labyrinthe à travers ses diverses expériences d’études et de vie religieuse. Mais une attirance intérieure, un quelque chose difficile à identifier, la poussera à cherche jusqu’au jour où enfin elle trouvera.


Études musicales et littéraires

De 1922 à 1926, Julia termine son secondaire au Public High School de Rockville; sa personnalité forte et sérieuse se développe. À 19 ans, faisant une petite escapade à New York de quelques mois, Julia prend des leçons de danse classique et poursuit l’étude du piano et du violon. Mais elle reviendra chez ses parents à New Haven, où elle étudie le violon et l’harmonie pendant trois ans au Conservatoire de Hartford.

En 1932, à 22 ans, elle obtient en un an un certificat de l’Université de Yale, complétant sa formation théorique de la musique. À la stupéfaction de tous, Julia interrompt ses études pour entrer au Collège Albertus Magnus tenu par des dominicaines afin d’obtenir une licence en lettres:

Me trouvant à la bibliothèque de la Faculté, je sentis en moi, l’espace d’un éclair, une force qui me pressait d’abandonner mes études musicales et d’entrer au collège des dominicaines. Comme toujours lorsque je recevais ces ordres intérieurs, j’obéis sans discuter. Lorsque je me rendis à la faculté de musique pour prendre congé, le directeur chercha à me persuader de rester. Il était convaincu que, si je faisais les deux autres années, j’arriverais à composer des morceaux de grande valeur… Malgré tout cela, je ne revins pas sur ma décision.


Retraite de Pâques

S’apercevant de l’enclin religieux chez Julia et sa qualité d’être, une dominicaine l’invite à vivre une retraite pendant les vacances de Pâques de 1934. C’est la toute première de sa vie qui déclenche le « oui » définitif de sa conversion. Au cours d’une nuit, que Julia ne décrit pas mais qu’elle appelle sa « nox beatissima » (sa nuit bienheureuse), le désert devient pour elle une réalité mystérieuse qui l’attire et l’enchante avec une extraordinaire puissance. Jésus commence à la séduire irrésistiblement. Julia prend l’habitude de se rendre quotidiennement à la chapelle du Collège.

Après trois ans d’études, où Julia apprend le français, l’allemand et l’italien, elle obtient, le 13 juin 1935, son diplôme en littérature avec mention. Julia déménage à New York où sa sœur Rosa l’héberge et le P. Thomas Brady, jésuite, devient son directeur spirituel.


Essai en communautés

Carmélites de Newport

Du 15 août au 6 novembre 1937, Julia vit sa première expérience chez les Carmélites de Newport. Le monastère situé en pleine forêt, apparemment capable de satisfaire quiconque cherche une solitude silencieuse, ne répond pas à la soif intérieure de Julia. Celle-ci désire aller au désert en Terre Sainte. Mais elle accepte la suggestion de son père spirituel de se rendre à Rome et d’y attendre que se manifeste la volonté du Seigneur. À la fin novembre 1937, Julia quitte donc sa famille qu’elle aime tant; elle sent que c’est un départ définitif, qu’elle ne reviendra jamais aux États-Unis.

Monastère camaldule de l’Aventin

Arrivée à Rome le 9 décembre, Julia rencontre le jésuite, Édouard Coffy, qui la confie au P. Jean de San Giovanni, capucin, chargé par le Saint-Siège des monastères contemplatifs romains. Ce dernier l’introduit à la Mère Abbesse du monastère camaldule de l’Aventin qui accepte Julia pour un essai.

Elle y entre le 2 février 1938 comme postulante et le 24 juin, elle revêt l’habit blanc camaldule, mais Julia se sent de moins en moins à sa place. Il lui faut un profond et continuel silence, une vraie solitude du corps, du cœur et de l’âme. Elle quitte donc, espérant trouver ailleurs la réponse adéquate à cette soif intérieure.

Une recluse au cœur de Rome

par Louis-Albert Lassus, o.p.,

1996

Carmel de la Réparation

Le 4 février 1939, Julia entre au Carmel de la Réparation et y restera cinq ans pendant lesquels elle passe par la terrible épreuve de la nuit. L’Esprit-Saint me trempait comme l’acier pour le combat de demain. Lorsque le temps arriverait, je n’aurais aucune crainte après tout ce que j’avais souffert, seule, au Carmel. Maintenant, je comprends que, pour pouvoir tenir bon dans ma réclusion, était nécessaire un long et douloureux noviciat, dira-t-elle 

Lorsqu’elle quitte le Carmel en juillet 1944, Julia est accueillie par les sœurs de Saint-Élisabeth de Hongrie où elle refait ses forces physiques et morales. Elle fait la connaissance de Mgr Guilo Penitenti à qui elle se confie.


Après la nuit, le soleil se lève

Avec ces échecs répétés, Julia est prête à mettre une croix sur son désir de solitude absolue, croyant que c’est une illusion de sa part. Mais Mgr Penitenti lui propose une nouvelle rencontre avec le P. Jean, capucin. Quelques jours plus tard il annonce à Julia que les moniales camaldules consentent à la recevoir à nouveau dans leur monastère, mais cette fois, comme recluse privée. Le 31 octobre 1945, un indult spécial accordé par la Sacrée Congrégation des Religieux précise son mode de vie et sa situation en ce monastère d’accueil.

Le 21 novembre 1945, en la fête de la Présentation de Marie au Temple, Julia se rend en pèlerinage à la Basilique Saint-Pierre. Elle est reçue en audience privée par le pape Pie XII. Elle lui présente sa Règle de vie qu’elle observerait à titre d’expérience pendant trois ans. Julia saisit qu’elle est offerte à Dieu pour toute l’Église et cette prise de conscience s’affirmera toute sa vie.

Le soir venu, le P. Jean, l’abbesse Mère Angela et la prieure Mère Ida accompagnent Julia à sa réclusion. Après leur départ, une grande joie l’envahit:

La joie que j’éprouvais alors était inimaginable. Je sentis avec certitude que j’étais enfin à ma place, celle que Dieu m’avait préparée. 


Désormais elle s’appellera …

Le 15 décembre 1947, après deux ans de réclusion, Julia revêt officiellement son habit de recluse et prononce ses vœux perpétuels privés de pauvreté, de chasteté, d’obéissance, de conversion des mœurs et de stabilité dans son réclusoir. Désormais elle s’appellera: Sœur Maria Nazarena de Jésus.

Le 31 mai 1953, en la fête de la Sainte Trinité, Nazarena est reçue dans l’Ordre comme une recluse camaldule et fait sa profession solennelle entre les mains de Mère Scholastique. Deux ans plus tard, sœur Hildegarde est nommée Abbesse de la communauté et le sera jusqu’après la mort de Nazarena. 

En 1959, une nouvelle cellule mieux appropriée sera offerte à la recluse. Ce changement sera une nouvelle Pâque pour Nazarena, un ultime passage en Dieu. Elle y vivra jusqu’à son grand passage dans l’éternité, le 7 février 1990, à l’âge de 82 ans.


QUELQUES PERLES CUEILLIES DE SON EXPÉRIENCE

LA CROIX

« Le premier contact avec la Croix du Christ est douloureux, mais au fur et à mesure que l’on pénètre plus profondément dans son grand Mystère – l’oeuvre rédemptrice de Jésus – les répugnances s’évanouissent et voici que pénètrent dans l’âme la paix, la joie du Christ. Alors, au lieu de la fuir, on va à ses devants… Et l’on sait alors mourir à soi-même, à tous et à tout… »

FIDÉLITÉ DANS LE RENONCEMENT

« Le peu donné fidèlement est tellement plus précieux que d’énormes choses données sans lendemain. Il vaut tellement mieux y aller en douceur que de s’arracher les cheveux… Il faut savoir s’aimer soi-même. »

SENS DE LA RÉCLUSION

« Je vois que je n’ai rien d’autre à offrir à Dieu, à l’Église, à mes frères que ce grand Trésor qu’est la réclusion et cette confiance illimitée dans l’amour, la puissance, la miséricorde infinie de Dieu. Une confiance qui m’a donné la force au long de toutes ces années de dire: Aujourd’hui, je commence, et qui m’a aidée à lutter en espérant contre toute espérance, disposée à mourir pourvu que je possède le Tout. »