L’Eucharistie: action de grâce au Père

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L’EUCHARISTIE

ACTION DE GRÂCE AU PÈRE

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La Prière Sacerdotale d’Eugène Burnand

Jésus rend grâce au Père

Le soir du Jeudi Saint, Jésus fait monter vers le Père la grande action de grâce pour toute sa mission. Saint Jean est le seul à la souligner au chapitre 17 de son Évangile. Cette prière de Jésus, appelée « prière sacerdotale », est la grande action de grâce de sa vie :

Père, l’heure est venue. J’ai accompli, mené à bonne fin l’œuvre que tu m’as donné à faire. Et maintenant, glorifie-moi de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût.

Toute cette prière en est une de louange et d’action de grâce. Elle est le grand cantique que le Christ, le chantre de toute l’humanité, fait monter vers le Père après avoir donné, dans le mystère du pain et du vin, tout ce que lui avait confié le Père. Maintenant qu’il a tout remis à son Église, il ne lui reste plus qu’à glorifier le Père, à lui rendre grâce.

Cette méditation sur l’Eucharistie comme action de grâce au Père, nous place dans une attitude de recherche afin d’entrer dans l’attitude du Christ envers son Père. Cette action de grâce se situe à trois niveaux :

Action de grâce pour tout ce que le Père a accompli, soit dans la création, soit dans la rédemption glorieuse, en Jésus;
Action de grâce pour tout ce que le Père accomplit actuellement dans l’Église et dans le monde malgré les péchés des hommes;
Action de grâce pour tout ce que le Père accomplira en conduisant son Royaume à la plénitude.

Ces trois aspects se retrouvent toujours dans l’Eucharistie. Cette attitude de la liturgie eucharistique qui commence par l’action de grâce, est une attitude qui nous interpelle et nous demande : Est-ce que ta vie, ta manière de regarder les choses, de regarder ce que le Seigneur fait et a fait pour toi, ta manière de regarder la réalité du monde dans lequel tu es inséré, est d’abord et fondamentalement une attitude d’action de grâce? Une interpellation est faite à nos vies, chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie, puisque le premier mouvement de cette célébration est une action de grâce au Père.

Afin de nous mettre en relation avec cette dimension fondamentale de la liturgie eucharistique, voici quelques textes liturgiques.

TEXTES LITURGIQUES SUR LA CRÉATION

Prières de l’offertoire

Depuis la rénovation de la liturgie, nous avons retrouvé un aspect très important, perdu à travers les siècles et maintenant exprimé à l’offertoire :

Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce pain, fruit de la terre et du travail des hommes.
Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce vin, fruit de la vigne et du travail des hommes.

C’est une action de grâce au Seigneur de nous avoir donné cette terre et ce soleil, de nous avoir donné ces pluies, ces étoiles et les saisons, de nous donner la force de travailler et de produire du pain et du vin, de bâtir des maisons pour nous abriter et des vêtements pour nous habiller. Bien sûr, il faut souligner le travail humain. Mais pourquoi entre-il dans l’Eucharistie? Parce que l’œuvre de Dieu est bonne. Et c’est de cela que nous rendons grâce. Mon travail à moi, intellectuel ou manuel, entre dans cette grande action de grâce de ce monde matériel.

Prière eucharistique des Constitutions Apostoliques

Dans cet ordre de la création, voici une prière eucharistique tirée de ce qu’on appelle Les Constitutions apostoliques, probablement du IVe siècle.

Que la grâce du Dieu Tout-Puissant, que l’amour de Notre Seigneur Jésus-Christ et la communication du Saint-Esprit soient avec vous tous.

R. Et avec ton esprit.

L’esprit en haut.

R. Nous l’avons vers le Seigneur.

Rendons grâce au Seigneur.

R. Cela est digne et juste.

Il est vraiment digne et juste, avant toute chose, de te chanter par des hymnes, toi le Dieu qui es par essence, avant tout ce qui est venu à l’être et duquel toute paternité… alors en effet, Dieu éternel, tu nous as faits par ton Fils, ton Christ, et par lui tu étends à toute chose ta providence attentive. Car par lui tu nous as fait la grâce de l’être et donné d’être dans le bien, Dieu et Père de ton Fils unique…

Car tu es celui qui a établi le ciel comme une chambre et l’as étendu comme une tente… Tu as posé la terre sur le vide par ta seule décision. Tu as fixé le firmament et tu as établi la nuit et le jour, toi qui tires la lumière de tes trésors et, quand elle se retire, ramènes les ténèbres pour le repos des vivants qui se meuvent en ce monde. Tu as établi le soleil pour qu’il gouverne le jour dans le ciel, et la lune pour gouverner la nuit; et le chœur des étoiles tu l’as inscrit dans le ciel pour la louange de ta majesté. C’est toi qui as fait l’eau pour un breuvage et une purification; l’air vivifiant pour l’inspiration et l’expiration, et pour l’émission de la voix par le moyen de la langue frappant l’air, et l’oreille qu’il met en branle pour qu’elle saisisse le langage qui l’atteint de la sorte. C’est toi qui as fait le feu pour nous consoler des ténèbres, pour la satisfaction de nos besoins, nous chauffer, nous éclairer… [vient ensuite la multitude des végétaux].

Avec les anges, les myriades d’anges qui jamais ne se taisent : Saint, Saint, le Seigneur. Les cieux et la terre sont remplis de sa gloire. Il est béni dans les siècles. Amen.

TEXTES LITURGIQUES SUR L'ÉGLISE

Prière eucharistique de Saint Ambroise

La deuxième dimension de l’action de grâce invite à rendre grâce pour ce qui s’accomplit dans et par l’Église. C’est maintenant dans l’Église que le Père accomplit tous ses bienfaits et cela dans ce monde et pour ce monde. À titre d’exemple, voici un texte de la liturgie de rite ambrosien. L’Église de Milan, où a siégé saint Ambroise comme évêque, a conservé un rite propre avec ses préfaces, ses oraisons et ses rites liturgiques. Ces prières datent certainement du VIIe siècle, en voici une préface :

Vraiment il est digne et juste, nécessaire et bienfaisant de te rendre grâce, Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel, par le Christ, notre Seigneur. Il a transmis à son Église la puissance éminente qu’il avait reçue. Par la vertu de sa propre dignité, il l’a constituée Reine et Épouse. À son pouvoir souverain, il a soumis l’univers entier. Au ciel il a ordonné que les hommes reconnaissent le jugement de l’Église. Elle est la mère de tous les vivants, plus digne encore par l’abondance de ses fils. Tous les jours elle engendre à Dieu, dans l’Esprit, de nouveaux enfants. L’univers entier est couvert de pampres de sa vigne. Les rameaux, soutenus par le bois de la croix, montent jusqu’au royaume du ciel. Elle est la ville forte, bâtie sur la montagne, visible à tous les regards, et qui éclaire chacun. Son fondateur et son premier citoyen à la fois est Jésus Christ, ton Fils et notre Seigneur. Tous ensemble, nous chantons l’hymne de la gloire en disant avec les anges et les archanges : Saint, Saint, Saint…

Prière eucharistique de la Didachè

Le Père accomplira ses bienfaits, son plan, en conduisant son Royaume à sa plénitude, troisième dimension de l’action de grâce. Pour terminer cet ensemble, voici un texte de la Didachè, une prière eucharistique du début du IIe siècle :

Pour ce qui est de l’Eucharistie, rendez grâce ainsi :

D’abord pour la coupe :

Nous te rendons grâce, ô notre Père, pour la sainte vigne de David, ton serviteur [désigne ici l’Église]; tu nous l’as fait connaître par Jésus, ton Serviteur.

Gloire à toi dans les siècles!

Puis pour le pain rompu :

Nous te rendons grâce, ô notre Père, pour la vie et la connaissance que tu nous as accordées par Jésus, ton enfant.

Gloire à toi dans les siècles!

Comme ce pain rompu, autrefois disséminé sur les montagnes, a été recueilli pour n’en faire plus qu’un, rassemble ainsi ton Église des extrémités de la terre dans ton Royaume.

Oui, à toi, est la gloire et la puissance par Jésus Christ dans les siècles!

Après avoir été rassasiés, rendez grâce ainsi :

Nous te rendons grâce, ô Père saint, pour ton saint nom que tu as fait habiter en nos cœurs [c’est-à-dire sa personne], pour la connaissance, la foi et l’immortalité que tu nous as accordées par Jésus, ton Serviteur.

Gloire à toi dans les siècles!

C’est toi, Maître tout-puissant, qui as créé l’univers à la louange de ton nom; tu as donné aux hommes la nourriture et le breuvage en jouissance, afin qu’ils te rendent grâce; mais, nous, tu nous as gratifiés d’une nourriture et d’un breuvage spirituels et de la vie éternelle par ton Serviteur. Par-dessus tout, nous te rendons grâce, parce que tu es puissant.

Gloire à toi dans les siècles!

Souviens-toi, Seigneur, de délivrer ton Église de tout mal et de la parfaire dans ton amour. Rassemble, des quatre vents, l’Église que tu as sanctifiée, dans le Royaume que tu lui as préparé.

Car à toi sont la puissance et la gloire dans les siècles!

Vienne ta grâce et que passe ce monde! Hosanna au Dieu de David! Si quelqu’un est saint, qu’il vienne; s’il ne l’est pas, qu’il fasse pénitence.

Maranatha! Amen!

Il est impressionnant de constater que, dans cette prière qui date d’à peine cent ans après l’Ascension du Seigneur, nous retrouvons tout le schéma de l’action de grâce. Ce n’est pas une action de grâce au Fils, ni au Saint-Esprit, mais au Père. Au Père, pour tout ce qu’il a accordé: la vie, la connaissance, la foi, l’immortalité, l’univers, l’Église, le pain, le vin.

 CHEMIN DE TRANSFIGURATION

Lorsque l’Église célèbre l’Eucharistie, elle parle au nom de toute la création et elle révèle au monde ce qu’il doit devenir. L’Église montre aux hommes que l’Eucharistie leur ouvre la voie, le chemin de leur transfiguration. Dans son action de grâce au Père, elle fait découvrir au monde qu’il est appelé à être saisi par ce offertoiremouvement vers le Père. L’Église offre au Père l’univers entier comme un grand cantique d’action de grâce. Saint Cyprien, évêque de Carthage, mort martyr en 258, est le premier à souligner cette dimension de l’Église. Il utilise le symbolisme de l’eau mêlée au vin. Le vin c’est le Christ, et l’eau c’est le monde tout entier. Saint Augustin a repris ce même symbolisme en expliquant que dans le mystère de l’Incarnation, le Christ nous portait tous en lui. Par conséquent, lorsque l’Eucharistie est célébrée, l’humanité entière est assumée dans la personne du Christ, comme la goutte d’eau dans le vin. On ne peut plus distinguer la goutte d’eau du vin: « Dans le Christ, maintenant, il n’y a qu’un seul corps. » Alors lorsque l’Église célèbre l’Eucharistie, elle offre cette action de grâce au Père dans laquelle elle est elle-même toute entière incluse. « L’Église est cette portion de l’humanité qui déjà est transfigurée par Jésus-Christ et qui assure la transfiguration de tout le reste » a écrit le Pape Pie XII.

L’Église rend grâce au Père, au nom de toute l’humanité, parce qu’elle ne peut pas ne pas entrer dans l’offrande de Jésus puisqu’elle ne fait qu’un avec lui. Par conséquent, du moment qu’elle loue le Père, c’est toute l’humanité qui loue le Père. C’est très beau! Ceci suppose une vue paulinienne et johannique du mystère du Christ. Dans saint Paul, Jésus n’est pas présenté simplement comme un homme, mais comme celui en qui se trouve présente toute l’humanité. Il est l’ADAM, l’HOMME. Saint Jean le souligne également par la phrase de Pilate lors de la Passion: « Voici l’homme… »

Ces perspectives sont merveilleuses! C’est un décentrage de nous-mêmes. Nous ne réduisons pas l’Eucharistie à des choses que nous manipulons, mais tout est centré sur le Père.

Prochain article: L’Eucharistie, mémorial du Christ

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Cette série de réflexions sur le mystère eucharistique sont des extraits de conférences données à la communauté par le Père Pierre Michalon, sulpicien de France (1911-2004). Il a été expert au Concile Vatican II dans le Secrétariat pour l’unité des chrétiens et directeur du centre Unité chrétienne à Lyon de 1954 à 1991.