L’Eucharistie, don de l’Esprit

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L’EUCHARISTIE

DON DE L’ESPRIT

Rôle de l’Esprit dans l’Église

Lorsque Jésus, au soir du Jeudi Saint, parle de son départ, il place ses disciples dans une situation paradoxale. Rappelons-nous un peu le contexte décrit dans l’Évangile de saint Jean à partir du chapitre 13. Jésus annonce : « L’un d’entre vous va me livrer. » Pierre s’entend dire : « Donner ta vie pour moi? Trois fois tu me renieras… » Et puis : « Vous serez dispersés, chacun de son côté, et vous me laisserez seul. » Jésus ajoute : « Oui, je m’en vais et vous serez dans l’affliction. Mais il est apôtres boulversésbon que je m’en aille. Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez. » Après avoir annoncé des événements désastreux : une trahison, un reniement, une dispersion, une tristesse, Jésus dit : « Il est bon que je m’en aille. Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez. » Et : « Je vais vers le Père… Le Père est plus grand que moi… Encore un peu et vous ne me verrez plus, et encore un peu et vous me verrez. »

C’est comme si Jésus disait : C’est nécessaire que je m’en aille et c’est nécessaire que vous ne me voyiez plus parce que ma présence actuelle est une présence dans la chair, donc limitée. Limitée aux quelques années vécues ensemble, limitée en espace, c’est-à-dire à la seule terre de Palestine avec quelques échappées au-delà des frontières. Ça ne peut pas durer comme cela, il faut que je m’en aille. – Mais, Seigneur… — L’Esprit viendra, je vous l’enverrai. L’Esprit ne complétera pas ce que je n’ai pas su faire… J’ai achevé l’œuvre de mon Père, je l’ai portée à sa totalité. L’Esprit n’ajoutera rien car tout a été dit, tout a été fait. Je suis, moi, la Parole du Père, le Logos, le Verbe. L’Esprit viendra et vous conduira dans la vérité tout entière. Il prendra de ce qui est à moi pour vous le donner. Par conséquent, c’est vrai, vous ne me verrez plus et pourtant vous me verrez encore. Parce que l’Esprit vous redira ma présence; il vous redira mes paroles, il vous fera faire mes gestes. Voilà la nouvelle alliance que Jésus accomplie DANS L’ESPRIT ET PAR L’ESPRIT.

Ceci est important! Si le Christ prie le Père d’envoyer l’Esprit à son Église, ça veut dire que l’Église ne peut avoir d’existence que par l’Esprit. Le Père Afanassieff, un théologien orthodoxe et professeur à l’Institut Orthodoxe St-Serge à Paris, reprend ceci dans son livre : L’Église du Saint-Esprit. Sa pensée est tout à fait dans la ligne traditionnelle, reprise par le Concile Vatican II, à savoir que l’Église est le lieu de l’Esprit Saint.

C’est le vieux Credo baptismal qu’un chercheur patrologue, l’abbé Nautin, a bien mis en lumière dans ce livre : Je crois au Saint-Esprit dans la sainte Église catholique pour la rémission des péchés. La confession de foi des baptisés dans l’Église primitive était celle-ci :

Je crois en Dieu le Père créateur; je crois en son Fils Jésus Christ, né de la Vierge Marie, qui a souffert; je crois au Saint-Esprit, dans la sainte Église catholique.

 

On ne disait pas : je crois à la sainte Église catholique, mais je crois au Saint-Esprit dans la sainte Église catholique, pour la rémission des péchés.

L’Église n’a donc son être que DANS et PAR le Saint-Esprit. Par conséquent, l’Église doit sans cesse prier le Père pour que l’Esprit la fasse plus pleinement corps du Christ, épouse de Jésus-Christ, servante du Père, etc… pour que l’Esprit la renouvelle continuellement. Voilà pourquoi, elle adresse ces prières au Père : « Envoie l’Esprit afin que l’Église soit sanctifiée, renouvelée »; « Que le Saint-Esprit lui ouvre l’intelligence de la Parole, la fortifie dans son témoignage au monde »; « Veni, Sancte Spiritus ».

Si l’Église n’a son être et se renouvelle que dans et par l’Esprit Saint, elle ne peut donc célébrer les sacrements que par lui également. Elle ne peut prêcher la Parole et opérer les actes sacramentels que dans la puissance de l’Esprit.

L’Esprit Saint réalise le mystère eucharistique

Dans la célébration de l’Eucharistie, l’Esprit est invoqué sur l’assemblée réunie par lui. Il ne peut y avoir d’assemblée, de synaxe comme on disait autrefois, que par l’Esprit. Et parce que l’assemblée est réunie par lui, c’est l’Esprit qui va agir et réaliser le mystère eucharistique.

Selon le témoignage des Évangiles synoptiques, Jésus meurt le Vendredi Saint et va se manifester comme Ressuscité le matin du dimanche, laissant le tombeau vide. Dans les Actes des Apôtres, ce sera après quarante jours de manifestations pascales que Jésus donnera un dernier repas aux siens et leur dira : « Vous allez rester à Jérusalem jusqu’à ce que vous ayez reçu la promesse du Père. » Et saint Luc commentera : « La promesse du Père, c’est l’Esprit Saint. » Saint Pierre reconnaîtra la réalisation de cette promesse dans le bruit du vent violent et l’annoncera dans son premier discours.

Imaginons que le soir du Vendredi Saint, Pierre et ses compagnons décident de faire ce que Jésus avait fait la veille. Ils prennent du pain et du vin et prononcent les paroles : « Ceci est mon corps… ceci est mon sang… » Il n’y aurait rien eu parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié et l’Esprit n’avait pas encore été donné. Si l’Esprit n’est pas là et s’il n’est pas invoqué par l’Église, on aurait beau répéter cent fois « ceci es mon corps… ceci est mon sang… », rien ne se passerait. Si celui qui préside la célébration n’est pas en communion avec ce que veut l’Église de Jésus-Christ pour le mystère eucharistique, il n’y a pas de sacrement. Il n’y a donc pas de magie. L’Esprit agit et rend présent.


PRIÈRES EUCHARISTIQUES D’ANCIENNES LITURGIES

Anaphore du IIIe siècle

Que vienne, Seigneur, ton Esprit Saint, qu’il repose sur cette offrande de tes serviteurs, qu’il la bénisse et la sanctifie, pour qu’elle nous procure, Seigneur, le pardon des offenses et la rémission des péchés, la grande espérance de la résurrection des morts, et la vie nouvelle dans le Royaume des cieux avec tous ceux qui te furent agréables.

Prière eucharistique du IVe siècle tirée du texte « Les Constitutions apostoliques »

Nous souvenant de ta passion… tu nous as jugés dignes de nous tenir devant toi… Jette un regard bienveillant sur les offrandes que nous te présentons… Envoie sur ce sacrifice ton Esprit Saint, « témoin des souffrances du Seigneur Jésus », pour qu’il fasse de ce pain le Corps de ton Christ, et de cette coupe le sang de ton Christ.

Que ceux qui y communient soient affermis dans la piété, obtiennent le pardon des péchés, soient délivrés du diable et de son erreur, soient remplis de l’Esprit Saint, deviennent dignes de ton Christ, entrent en possession de la vie éternelle, soient réconciliés avec toi, Maître tout-puissant.

Nous voyons par ces textes comment l’Église attachait une importance capitale à l’invocation de l’Esprit Saint dans la célébration de l’Eucharistie. Cette invocation est placée indifféremment, soit avant le récit de l’institution, soit après. Ce qui indique bien que l’Église, ne vivant que de l’Esprit, se rendait compte que s’il fallait chanter la gloire de Dieu dans le Sanctus et se remémorer dans un mémorial les grands événements du salut et en particulier ceux opérés en Jésus Christ, si parmi ces grands événements, il fallait évoquer dans un mémorial de présence ce qui s’est passé le Jeudi Saint, tout cela ne peut être vivant pour la communauté rassemblée que si l’Esprit Saint est invoqué.

Ce qui signifie qu’une célébration sacramentelle ne peut être limitée à tel mot ou à tel geste, mais c’est la totalité de la célébration qui fait le sacrement. Et il ne faut pas oublier que c’est une communauté rassemblée qui célèbre le mystère eucharistique.

Lorsqu’il s’agit de la célébration, le prêtre « ministre » qui préside, nous « communauté » qui célébrons comme « sacerdotes », c’est-à-dire les prêtres de ce sacerdoce commun des baptisés, nous ne pouvons pas oublier que c’est l’Esprit qui agit et qui rend le Christ présent. C’est l’Esprit Saint qui donne vie à tous les gestes posés par le ministère de l’Église. Le geste de l’Église qui se rassemble, celui de chanter le Sanctus, d’évoquer les grands mystères du salut dans la préface, le geste du Jeudi Saint et celui du Vendredi Saint. Et puis le geste de l’Église qui reprend conscience qu’elle est l’Église des apôtres, des martyrs, de tous ceux et celles qui nous ont précédés et qui sont entrés dans la gloire de Dieu, de ceux et celles qui ont été avec nous ou qui vivent aujourd’hui avec nous. C’est tout cela que l’Esprit anime et, par conséquent, cela devient le corps et le sang de notre Seigneur Jésus Christ. Et comme le disaient les textes eucharistiques ci-haut mentionnés, par le unitéfait même que cette Église rassemblée reçoit l’Esprit, ses péchés sont pardonnés, elle est plus étroitement rassemblée dans l’unité, elle entre dans la vérité et est davantage réconciliée avec le Père.

Alors nous pouvons dire que l’Esprit Saint nous fait don de l’Eucharistie. Il donne à l’Église et à chacun d’entre nous de discerner ce que saint Paul appelle « le corps du Seigneur ». Or « le corps du Seigneur » n’est pas seulement de croire que le Christ est vraiment présent, mais c’est également de discerner que « nous sommes » le corps du Christ.

Nous avons besoin, à certains jours, de discerner profondément que notre communauté est rassemblée par la synaxe eucharistique (le mot synaxe veut dire « rassemblement »). Notre assemblée se constitue toujours, de plus en plus, en corps du Christ. Et parfois, lorsqu’une petite difficulté ou un petit accrochage survient en communauté, vivre cette célébration liturgique en sérénité, en ouverture, demande de surmonter la blessure au cœur. Et c’est l’Esprit qui permet cela. Il refait notre unité parce que c’est lui qui fait l’Eucharistie et nous rassemble en communauté célébrante. Alors nous refaisons plus profondément notre unité.

Prochain article: L’Eucharistie, repas du Seigneur

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Cette série de réflexions sur le mystère eucharistique sont des extraits de conférences données à la communauté par le Père Pierre Michalon, sulpicien de France (1911-2004). Il a été expert au Concile Vatican II dans le Secrétariat pour l’unité des chrétiens et directeur du centre Unité chrétienne à Lyon de 1954 à 1991.