ESPRIT DE PAUVRETÉ
Notre cofondatrice, Mère Jeanne Le Ber envisageait ainsi notre vœu de pauvreté :
En renonçant aux biens matériels, nous ouvrons définitivement l’accès à la suprême richesse : DIEU. En même temps que cette possession divine, la pauvreté procure une possession du monde et de tout, de la même façon que Dieu possède tout, c’est-à-dire sans exclusive appropriation.
Règle de Vie 1976, art. 25
Cette manière d’envisager l’esprit de pauvreté nous inspire dans notre marche à la suite du Christ pauvre. Notre choix d’une vie marquée par la simplicité et la sobriété, renonçant à un certain niveau de vie, de confort et de commodités[1] demande une vigilance et un discernement continu. Contempler le Christ nous ouvre à son dépouillement dans l’Incarnation et nous conduit petit à petit à nous désapproprier de nous-mêmes.
À L’ORIGINE
Dans les premières années de la communauté, cet esprit de pauvreté a permis à nos pionnières de vivre la joie au cœur même d’une radicale pauvreté matérielle. Étant donné l’époque de colonisation, le petit village de Tangent se développait à partir de presque rien. Tout était à bâtir. Lorsque les premières arrivèrent il n’y avait ni électricité, ni eau courante, et surtout pas de confort. Le shack, première habitation des sœurs, en était une belle illustration. Vous aimez l’étable de Bethléem, vous y serez,[2] avait dit le Père Parent à Mère Rita. C’était un shack en bois rond, sans isolation, inhabité depuis longtemps et devenu un repaire de souris et de rats.
Dans son autobiographie, Mère Rita relate : Heureusement que nous nous étions entraînées à la pénitence avant de venir, sans quoi, je ne crois pas que nous ayions pu tenir le coup.[3] Pendant les deux années qui précédèrent la fondation, Mère Rita et Mère Jeanne Le Ber s’étaient exercées à la vie de pauvreté en habitant un ermitage rudimentaire et en se faisant vagabondes par moments. Pour elles qui provenaient de familles aisées, le désir d’imiter le Christ dans son dépouillement les stimulait sans cesse à devenir pauvres effectivement. Et l’arrivée à Tangent leur en donna l’occasion.
Mais au dire des premières sœurs, le fait de vivre la pauvreté intégrale illuminait leur journée, car même si elles étaient dépouillées de tout, elles avaient « le Tout » au milieu d’elles : le Seigneur Jésus présent dans son Eucharistie, et cela les comblait.
CHEZ JEANNE LE BER
Le 24 juin 1685, après cinq années de réclusion dans la maison paternelle, Jeanne prononce un vœu perpétuel de réclusion, de chasteté et de pauvreté de cœur. Elle a 23 ans. Par prudence, il lui est conseillé de ne pas se départir de sa fortune, compte tenu de la situation très précaire de la nouvelle colonie. Par contre, Jeanne vit comme si elle avait fait vœu de pauvreté et mettra toujours ses biens à la disposition des autres.
D’abord, ce choix de vivre pauvrement se reflète dans son habillement. « Jeanne porte une simple robe blanche de serge, ceinturée de laine noire. Elle ressemble aux plus pauvres, alors qu’elle pourrait s’habiller comme les plus riches. »[4]
D’où lui vient cet esprit de pauvreté?
Dans son enfance, Jeanne a reçu l’exemple de femmes vivant radicalement la pauvreté: Jeanne Mance figure parmi celles-ci. De même, Catherine Macé semble avoir eu une influence marquante sur Jeanne. Cette Hospitalière de Saint-Joseph issue elle aussi d’une famille très riche – premier point de ressemblance – choisit de se vêtir de robes rapiécées et « utilise ce que ses sœurs ont laissé comme usé et hors d’état. Elle dort sur une dure paillasse, habite la chambre la plus froide et s’y retire en ermite le plus souvent possible. »[5] Dans l’esprit éveillé de la petite Jeanne, qui pose déjà des questions étonnantes pour son âge, germe un attrait pour la pauvreté. Cet attrait se fortifiera pendant son adolescence jusqu’à développer un esprit de pauvreté par lequel elle étonnera ses contemporains.
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[1] Constitutions et Règles en vigueur, 1987, art.24
[2] 3e Manuscrit de Mère Rita-Marie, p.17
[3] Ibid
[4] Françoise DEROY-PINEAU, Jeanne Le Ber – La recluse au cœur des combats, Montréal, Bellarmin, 2000, p.82-83
[5] Ibid, p.40-41
En décembre: Demeurer dans le silence