L’Eucharistie et le mystère d’unité(2)

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L’EUCHARISTIE

ET LE MYSTÈRE D’UNITÉ

Deuxième partie

 

Pour que le monde croie

Si Jésus a tellement prié au soir du Jeudi saint pour l’unité de son Église, c’est qu’il voyait que tout dépendait de cette unité: « Père, qu’ils soient un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé » (Jn 17,23). Si le monde ne sait pas qu’il est aimé du Père, si le monde ne sait pas qu’il y a une immense espérance pour lui, de vie et d’amour, c’est que l’Église n’est pas assez rayonnante de cette intimité avec le Père, dans le Saint-Esprit. Nous pouvons chercher tous les moyens possibles pour bâtir l’apostolat, pour la mission de ré-évangéliser le monde et évangéliser both-sides-1540103_1920les peuples nouveaux. Mais si nous ne vivons pas la parole de Jésus, si nous ne proclamons pas la Bonne Nouvelle, en étant imprégnés d’une dimension de sainteté telle qu’elle rayonne l’unité d’amour entre le Père et le Fils, par la puissance du Saint-Esprit; si la communauté chrétienne (l’Église) ne vit pas à cette hauteur-là, elle stérilise le rayonnement de l’Évangile. Bien plus, elle baisse dans son tonus de vie.

C’est une expérience que nous avons certainement faite dans notre propre vie. Si nous avons vécu dans une ambiance où quelque chose de la charité d’unité était blessé dans notre cœur, est-ce que notre montée d’amour était vivante? Si dans une communauté de quarante personnes, il y en a quarante qui vivent avec des écrans les unes envers les autres, il n’y a plus de communauté, il n’y a plus de montée de sainteté dans l’amour du Seigneur. Cela, chacun d’entre nous, une fois ou l’autre, a pu le vérifier.

Dans l’Église, c’est la même chose. Parce qu’il y a eu cette baisse dans le souci de vivre intensément de l’amour du Seigneur, à un moment donné dans l’histoire il y a eu des ruptures. Nous avons vu cela dans la communauté de Corinthe, où saint Paul a été obligé d’intervenir vigoureusement. Mais dans l’histoire des siècles, ça s’est passé également comme cela. Les grandes cassures dont nous parlons aujourd’hui, la cassure Orient-Occident, la cassure à l’intérieur de l’Église d’Occident (protestante – catholique romaine), la cassure entre l’Église d’Angleterre et l’Église de Rome, ces grandes cassures sont venues d’une baisse du tonus spirituel de l’Église, du fait que l’Église n’a pas été assez dominée par le souci de communier à la vie d’amour des trois Personnes divines. Nous parlons d’œcuménisme… la première question est une question interne:

Est-ce que notre Église est une Église qui se soucie de monter dans cet amour du Seigneur pour toujours contempler, avec des yeux plus clairs et un cœur plus brûlant, le mystère des trois Personnes divines?

Lorsque le Concile Vatican II s’est préoccupé de l’unité entre les Églises chrétiennes, le pape Jean XXIII a dit: « Ce Concile a pour but de réformer l’Église catholique. Après, nous pourrons regarder nos frères. » Et quand nous avons écrit le décret sur l’œcuménisme, au secrétariat pour l’Unité, après le premier chapitre qui expose les principes sur ce que nous venons d’aborder, il y a un chapitre sur la pratique qui dit: « C’est que le souci de l’Unité concerne tous les fidèles de l’Église catholique, dans leur vie chrétienne quotidienne. » Et, dans le premier paragraphe: « Donc, il faut opérer des renouveaux dans l’Église catholique » par la conversion des cœurs, par la prière et enfin par le dialogue. Tant que cela ne sera pas fait, tant qu’on n’a pas, à l’intérieur de notre Église catholique, porté le souci de la réforme permanente, inutile de parler d’un dialogue avec nos frères non-catholiques.

Il faut se questionner: « Qu’est-ce que je fais dans ma vie de fils, de fille de l’Église catholique? » Je comprends très bien que Jésus, en priant son Père au soir du Jeudi saint, ait pu dire: « Père sanctifie-les. » Il parlait de ses disciples mais ces paroles doivent rayonner sur toute l’Église. Et l’abbé Couturier, – ce prêtre de Lyon qui a vraiment saisi le mouvement de la prière de Jésus pour l’Unité et à qui nous devons la semaine de prière pour l’Unité du mois de janvier – cet homme a bien compris. Il a employé cette expression: « L’Unité, c’est une affaire de vie spirituelle orientée ». Ce n’est pas une affaire de dialogue, ce n’est pas une affaire de bonne volonté, c’est d’abord une affaire de vie spirituelle orientée.

 

Laisser le Christ prier en nous

Nous ne pouvons entrer dans cette ligne que portés uniquement par la puissance de l’Esprit Saint. Nous nous préoccupons souvent de ce que nous pourrions faire pour orienter notre prière dans son authenticité. Nous n’avons pas à inventer la prière. Prier, c’est entrer dans un mystère pas une œuvre. « Ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi » affirmait saint Paul. « C’est le Christ qui vit en moi » ce n’est pas moi qui vis, c’est lui. Comme dira aussi saint Paul: « Nous ne sommes qu’un seul être dans le Christ » (Rm 6). Alors ce n’est pas moi, c’est Christ qui prie en moi. Nous disons toujours « Je prie »… non, c’est Jésus Christ qui prie en moi. Le Seigneur nous dit: « Je vous donnerai l’Esprit Saint. Il prendra de ce qui est à moi pour vous le donner. Il ne dira rien de lui-même, il dira ce qu’il a vu ». L’Esprit Saint prend la parole de Jésus pour nous la redire de façon à ce que nous la comprenions. Il prend la prière de Jésus et la met en nous. Notre prière sera toujours une prière DANS et PAR l’Esprit Saint. C’est lui qui fait tout. Par conséquent, nous n’avons pas à chercher comment prier pour l’Unité: le soir du Jeudi saint Jésus a prié, il est le seul priant. Et aujourd’hui l’Esprit prend cette prière de Jésus et la met en nous. Il faut simplement ouvrir notre intelligence et notre cœur, pour que la prière de Jésus puisse déferler en nous sous la puissance de l’Esprit Saint.

mountaineer-391948_1920Nous sommes ici à une hauteur mystique, et non pas à des recettes de cuisine pour savoir comment prier. L’Esprit Saint met en nous la prière de Jésus, cette prière qui monte vers le Père. Et cette prière, la même chez tous nos frères et sœurs catholiques qui veulent bien s’ouvrir à elle, chez tous nos frères et sœurs protestants, chez tous nos frères et sœurs orthodoxes ou anglicans, est une prière qui unit, parce qu’elle est la même. Ce n’est pas la nôtre. Ce n’est pas une prière protestante, orthodoxe, catholique ou anglicane, c’est la prière du Christ. Une prière qui dépasse nos petites vues humaines. Une prière qui nous jette en plein dans la contemplation du mystère d’échange d’amour entre le Père et son Fils: « Père, que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux » (Jn 17,26).

Vivre de l’amour du Seigneur, c’est vivre en sa sainteté. C’est vivre d’un amour plus théologal, plus transfigurant, et dans cette mesure, nous arriverons à la transparence et par conséquent nous arriverons à nous rejoindre sur les sommets. En priant pour la sanctification les uns des autres, nous prions pour une montée et par conséquent, étant plus haut, nous nous rapprochons. Nous prenons souvent cette comparaison d’une montagne: les uns sont d’un côté, les autres sont de l’autre côté, séparés. Mais si le Christ est considéré comme le sommet de la montagne, chacun tendant vers le Christ, en se rapprochant de lui, on se rapproche automatiquement les uns des autres. C’est la voie de la sainteté, la voie d’un regard de plus en plus transparent sur la personne du Seigneur, sous la motion de l’Esprit Saint.

 

Prochain article:  L’Eucharistie, communauté eucharistique 

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Cette série de réflexions sur le mystère eucharistique sont des extraits de conférences données à la communauté par le Père Pierre Michalon, sulpicien de France (1911-2004). Il a été expert au Concile Vatican II dans le Secrétariat pour l’unité des chrétiens et directeur du centre Unité chrétienne à Lyon de 1954 à 1991.