L’Eucharistie: ouverture à la mission(2)

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L’EUCHARISTIE

OUVERTURE À LA MISSION

Deuxième partie

 

Évangéliser et la pauvreté des moyens

L’Église retrouve sans cesse sa vocation dans l’Eucharistie, dans la fécondité des moyens pauvres: un peu de pain, un peu de vin. Le signe est réduit à sa plus simple expression. L’Église est appelée, par l’Eucharistie, à toujours apprendre que pour proclamer l’Évangile, elle doit d’abord en être la servante. Elle est obligée de reconnaître que pour rayonner l’Évangile, elle a toujours besoin de se dépouiller. Non pas simplement parce qu’il y a tellement de gens pauvres qui ont si peu de moyens, soit humains, intellectuels ou matériels, mais parce que l’Église qui célèbre l’Eucharistie découvre que, pour célébrer le grand mystère du Christ, il lui faut peu de choses… Car l’Église risque toujours de s’embarrasser de beaucoup de moyens pour prêcher l’Évangile. La pauvreté des moyens se comprend à force de méditer devant le tabernacle.

 

L’Église, quand elle va jusqu’au bout de ce que signifie une célébration eucharistique,
est envoyée au monde avec la pauvreté qu’elle a, et elle n’a pas à chercher autre chose.

 

Dans cet aspect de la fécondité des moyens pauvres, l’Église comprendra toujours qu’elle est une Église sous la croix. Il n’est pas possible que le Seigneur célèbre le mystère eucharistique par le ministère de son Église, si ce n’est pas en liaison avec ce mystère du Jeudi et du Vendredi Saints où il est passé de ce monde à son Père par le mystère de la croix. Le chemin passe par le jardin de Gethsémani, par la maison de Pilate, par la montée du Golgotha. Et alors, à ce moment-là, tout est arrivé à sa totalité, à son achèvement et l’Esprit Saint est transmis. Dans la célébration de l’Eucharistie c’est le Christ glorieux qui est là, mais aussi le Christ crucifié: « Vous annoncez la mort du Seigneur », une mort qui fait de Jésus, le Seigneur.

Lorsque l’Église célèbre l’Eucharistie, elle sait qu’elle vit de la vie de Jésus retourné vers le Père, mais elle sait qu’elle est une Église vivante parce qu’elle passe aussi par le mystère de la croix. Ce qui donne à l’Église de communier, au sens fort du mot, par le dedans à toutes les souffrances humaines. Je pense à ce mot de Pascal: « Jésus sera en agonie jusqu’à la fin des temps », en parlant des souffrances du monde. Non pas sous l’aspect doloriste; cela est une erreur théologique, puisque c’est LE SEIGNEUR glorifié qui est présent. Le terme de l’Eucharistie est toujours de rejoindre le Seigneur dans sa gloire. Et si l’Eucharistie est un mémorial de lui, nous ne pouvons pas oublier l’humilité de Nazareth et la simplicité de Jésus pendant trente ans, puis son grand témoignage apostolique pendant trois ans avec les apôtres; et nous ne pouvons pas non plus oublier le mystère du Jeudi et du Vendredi Saints. L’Église s’ouvre à tout cela et communie ainsi à la souffrance du monde par chacun de ses membres.

 

Mission de transfiguration

Un autre aspect à considérer est que l’Eucharistie donne également à l’Église d’ouvrir le monde à sa transfiguration. Quand l’Église célèbre l’Eucharistie, elle est en train de dire au monde: « Ne te désespère pas, sois un monde d’espérance ». Elle lui montre que l’opacité des choses a craqué et dit comme saint Paul:

 

« La création tout entière gémit dans les douleurs de l’enfantement et que cette création attend avec impatience la manifestation des fils de Dieu… qu’elle garde l’espérance car elle sera libérée de l’esclavage et qu’elle aura part à la liberté des enfants de Dieu. » (cf. Rm 8, 12-22)

 

Au fond, chaque fois que l’Église célèbre l’Eucharistie, elle est envoyée pour dire que ce monde, par le mystère du Christ, est sur le chemin de la liberté, de la vie, de la gloire des enfants de Dieu. Que le monde est en train de réaliser son enfantement pour devenir ce monde nouveau, ces cieux nouveaux et cette terre nouvelle, dont parle l’Écriture. Elle ne peut pas garder ce trésor pour elle-même, puisque célébrant l’Eucharistie, c’est le monde entier qui est appelé à s’ouvrir à cette transfiguration; il faut qu’elle le dise, il faut qu’elle le crie. Alors, elle n’a pas seulement à s’ouvrir les yeux sur ce qui se passe dans le monde, elle a aussi à jeter dans ce monde les germes de cette transfiguration. Il y a des pages admirables de Teilhard de Chardin sur ce monde entier saisi par le mystère de l’Église qui célèbre l’Eucharistie et qui peu à peu va se transfigurer, va éclater sous sa gangue. Ce sont des pages étonnantes et tellement pauliniennes!

 

S’offrir ou se laisser prendre par le Seigneur

Comme dernier aspect de cette réflexion, regardons ensemble la dimension d’oblativité. Il ne s’agit pas de dire uniquement que nous nous offrons. Allons beaucoup plus loin, laissons-nous prendre par le mouvement même du mystère eucharistique. S’offrir aura toujours quelque chose de limité parce que nous nous connaissons mal. Lorsque nous disons: « Seigneur, je m’offre tout entier », c’est merveilleux, mais nous risquons toujours d’être comme ce petit enfant qui disait à Jésus dans sa prière: « Jésus, je t’offre tout, tout, tout… excepté mon petit lapin blanc. » Nous avons toujours quelque petit lapin blanc qu’on offrirait bien mais autrement. Et nous sommes plus portés à offrir ce qui est pesant, ce qui coûte. Mais offrir, par exemple, sa joie quand tout va bien, c’est dilatant. Bien sûr qu’on l’offre, mais ce n’est pas tellement spontané.

Et peut-être est-ce encore plus radical, plus important, de nous LAISSER PRENDRE par le Seigneur, de même que le Seigneur prend ce pain et ce vin. Bien sûr « nous te le présentons, il deviendra le pain de la vie », mais finalement c’est lui qui s’en empare. Il vaut mieux mettre l’accent sur LUI que sur nous. Nous nous mettons devant le Seigneur afin qu’il nous prenne dans le même mouvement où le Père a pris l’offrande de son Fils. Si bien qu’à ce moment-là, notre existence devient peu à peu une VIVANTE EUCHARISTIE. C’est une manière de dire que nous voulons demeurer inscrits, perdus dans la seule Eucharistie, c’est-à-dire la seule action de grâce, la seule louange, la seule offrande, la seule intercession, celle du Seigneur Jésus, se réalisant sacramentellement, jour après jour, dans la puissance de l’Esprit Saint. Alors notre existence va se colorer des dimensions de l’Église qui célèbre l’Eucharistie.

Il y a une chose qui m’a toujours frappé: j’ai trouvé dans les communautés monastiques la plus grande vision de la mission de l’Église. Dans une rencontre avec le Père Abbé de la Trappe de Notre-Dame des Neiges, dans le diocèse de Viviers, parmi les remarques qu’il m’a faites, il m’a dit ceci: « Un jeune homme qui n’a pas une vocation pour considérer le monde entier et être d’accord sur les nécessités de la mission de l’Église auprès de ceux qui sont les plus loins, n’est pas fait pour nous. » Les Pères Trappistes à Notre-Dame des Prairies, au Manitoba, m’ont affirmé la même chose: « Nous ne serions pas là si nous n’avions pas une vocation missionnaire. » Et j’ai constaté cela dans les communautés les plus riches au point de vue de la contemplation, au point de vue de la dimension d’approfondissement avec le Seigneur.

Quand je dis que l’Eucharistie fait de nous des êtres missionnaires peu importe qui nous soyons: moniales, prêtres, chrétiens laïcs, il ne s’agit pas simplement d’être missionnaires par la prière et de porter les grandes intentions de l’Église. Il y a quelque chose d’encore beaucoup plus radical. Cela nous crée une vision de l’Église et, par conséquent, une vision de notre existence qui nous amène à nous poser la question de savoir si la petite cellule d’Église que nous sommes est vraiment un SIGNE que l’Évangile se propage uniquement par le témoignage d’un amour PAUVRE. Plus on entre dans l’intelligence eucharistique, plus on a un cœur grand. Le sens du mot « cœur » signifie ici la profondeur de l’être.

 

Fin de cette série sur l’Eucharistie  

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Cette série de réflexions sur le mystère eucharistique sont des extraits de conférences données à la communauté par le Père Pierre Michalon, sulpicien de France (1911-2004). Il a été expert au Concile Vatican II dans le Secrétariat pour l’unité des chrétiens et directeur du centre Unité chrétienne à Lyon de 1954 à 1991.