L’ÉGLISE :
COMMUNAUTÉ EUCHARISTIQUE
Deuxième Partie
Communion dans le « corps du Christ »
Par l’expression « corps du Christ », nous entendons le grand enseignement de saint Augustin. Quand saint Augustin parle de l’Eucharistie, il dit à ses fidèles d’Hippone: « Vous êtes ce que vous recevez. » Et dans son sermon commentant le mot « Amen » il dit: « Lorsque tu t’approches du pain, l’évêque te dit en te le présentant: « Corpus Christi », le corps du Christ. Et tu réponds: Amen. Qu’est-ce que cela veut dire? » Saint Augustin répond: « L’évêque te demande si tu es le corps du Christ, parce que si tu n’es pas le corps du Christ, tu ne peux recevoir le pain. Alors, es-tu le corps du Christ? Et tu réponds: Amen, c’est bien cela, j’adhère. Alors l’évêque te donne le pain afin que tu deviennes davantage le corps du Christ. Il faut donc que ton Amen soit vrai ».
Dans la réforme liturgique on a repris cette formule ancienne pour la distribution du pain eucharistique: « Le corps du Christ ». Chaque fois que nous recevons l’Eucharistie, nous confessons notre foi: « Oui, je suis le corps du Christ. Oui, je reçois le corps du Christ pour devenir corps du Christ ». Ce geste liturgique contient toute la dogmatique de la présence du Seigneur, et la dogmatique de tout le mystère de l’Église qui ne peut pas être séparé du mystère eucharistique. Lorsque nous distribuons l’Eucharistie, c’est vraiment le geste de la confession de foi que nous, prêtres-célébrants, nous faisons et que nous, fidèles-communiants, nous faisons aussi. Il y a réciprocité dans la question qui nous est posée:
Vraiment, est-ce dans le mystère de l’Église
que tu célèbres et que tu reçois cette Eucharistie?
Il y a dans nos paroisses, dans nos églises, un bon nombre de chrétiens qui communient avec un certain esprit de foi mais qui n’ont pas encore mesuré ce que signifie la parole du prêtre: « Le corps du Christ. » Et il y a un certain nombre d’ecclésiastiques et de laïcs qui aident à distribuer la communion et qui semblent ne pas mesurer la grandeur ecclésiale du geste qu’ils font. Le Concile Vatican II est à peine commencé dans l’intelligence qu’il faut en avoir. Ce texte du chapitre trois de la Constitution sur l’Église est important: L’Eucharistie manifeste la nature authentique de l’Église, bâtit cette Église.
Cette Eucharistie célébrée chaque jour n’est pas un geste extérieur mais c’est un geste qui saisit par le dedans. Tout ce qui est du culte eucharistique: adoration du Saint-Sacrement, hymnes au Saint-Sacrement, Heures Saintes, ne peut avoir de sens que raccroché à la célébration eucharistique proprement dite. Tous les actes de piété eucharistique doivent tous être raccrochés, d’une manière de plus en plus consciente, à la célébration.
Il est grand le mystère de la foi
La proclamation « Il est grand le mystère de la foi » était dans le Canon romain jusqu’à la réforme conciliaire et puis elle est passée dans une des acclamations après le récit de l’institution. Maintenant nous disons après la consécration: « Il est grand le mystère de la foi ». Qu’est-ce que cela veut dire? C’est de ce mystère dont saint Paul nous parle notamment dans la lettre aux Éphésiens où il nous écrit:
J’en ai été fait ministre par le don de la grâce que Dieu m’a accordée en déployant sa puissance. Moi, qui suis le dernier des derniers de tous les saints, j’ai reçu cette grâce d’annoncer aux païens l’impénétrable richesse du Christ et de mettre en lumière comment Dieu réalise le mystère tenu caché depuis toujours en lui, le créateur de l’univers; ainsi désormais les Autorités et Pouvoirs, dans les cieux, connaissent, grâce à l’Église, la sagesse multiple de Dieu, selon le projet éternel qu’il a exécuté en Jésus Christ notre Seigneur. En Christ, nous avons donc, par la foi en lui, la liberté de nous approcher en toute confiance. C’est pourquoi, je fléchis les genoux devant le Père, de qui toute famille tient son nom, au ciel et sur la terre; qu’il daigne, selon la richesse de sa gloire, vous armer de puissance, par son Esprit, pour que se fortifie en vous l’homme intérieur, qu’il fasse habiter le Christ en vos cœurs par la foi; enracinés et fondés dans l’amour, vous aurez ainsi la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur et de connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, afin que vous soyez comblés jusqu’à recevoir toute la plénitude de Dieu. À celui qui peut, par sa puissance qui agit en nous, faire au-delà, infiniment au-delà de ce que nous demandons et concevons, à lui la gloire dans l’Église et en Jésus Christ, pour toutes les générations, aux siècles des siècles. Amen. (Eph 3, 14-21)
Ce passage d’Éphésiens est un texte extrêmement dense: « Vous serez enracinés et fondés dans l’amour, et étant enracinés et fondés dans l’amour, vous aurez la force de comprendre avec tous les saints la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur et puis de connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance. » Ce sont toutes les dimensions du mystère de Dieu, ou plus exactement du mystère du Père dévoilant son plan caché depuis toujours, le dévoilant par Jésus Christ et le répandant par l’Église, grâce à l’Église. Son projet éternel, il l’exécute maintenant. C’est cela qui est placé au cœur de la prière eucharistique. Lorsque l’Église reçoit l’Eucharistie, d’abord par le fait même qu’elle est rassemblée et puis qu’elle va recevoir sacramentellement le pain et le vin, nous comprenons tout de suite que ce n’est pas une petite histoire qu’elle reçoit. C’est Jésus Christ tout entier dans tout son mystère, et tout le plan d’amour de Dieu le Père qui se déroule à travers les âges. Lorsque nous avons parlé de l’Eucharistie comme le mémorial du Christ, nous avons réfléchi sur les paroles, « en mémoire de moi » ce qui signifie tout ce qu’est le Christ. Ici nous avons ce mystère, beaucoup plus large: tout le plan du Père réalisé en Jésus Christ son Fils, et qui maintenant se déploie par le ministère de l’Église, et cela dans la puissance de l’Esprit.
Il faut nous réjouir beaucoup de ce que nous ayons, surtout depuis le Concile, retrouvé ces réalités profondes de la vie eucharistique, mouvement de nos pères dans la foi. Je terminerai en citant ce mot de saint Irénée : « Notre doctrine est en accord avec l’Eucharistie et l’Eucharistie la confirme. » Puisque l’Église est une communauté eucharistique, que l’Église devient de plus en plus Église à mesure qu’elle « s’eucharistie », il est évident que son enseignement ne peut être qu’en conformité avec ce « symbolium fidei », cette synthèse de la foi et ce mystère de la foi qu’est l’Eucharistie. Et chaque Eucharistie fortifie notre foi et la foi de l’Église.
« L’Eucharistie, c’est le symbole de la foi » disait saint Thomas d’Aquin.
Le mot symbole en grec signifie: synthèse, faire tenir ensemble. Nous avons besoin que l’Eucharistie nous ré-harmonise à cette vie d’amour et de foi de la communauté chrétienne. Borrely dans son livre Qui est près de moi est près du feu exprime: « L’Église, dans son essence, n’est rien d’autre qu’un immense calice eucharistique où la puissance de la résurrection surabonde pour la vie du monde. »
Prochain article:
L’Eucharistie: centre des mystères du Verbe incarné
————————–
Cette série de réflexions sur le mystère eucharistique sont des extraits de conférences données à la communauté par le Père Pierre Michalon, sulpicien de France (1911-2004). Il a été expert au Concile Vatican II dans le Secrétariat pour l’unité des chrétiens et directeur du centre Unité chrétienne à Lyon de 1954 à 1991.