Les Règles des recluses

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LES RÈGLES


Quatre Règles écrites pour les recluses ou les reclus du Moyen Âge nous sont parvenues. Ces Règles forment de véritables traités de vie spirituelle où l’unique but du solitaire est la purification du cœur pour s’attacher à Dieu seul et « hospitaliser » le monde entier dans la prière d’intercession.


Les auteurs des Règles puisent largement dans l’immense héritage de l’Écriture Sainte, des Pères du Désert et des Pères de l’Église. Leurs écrits sont aussi un véritable miroir de leur époque nous permettant d’entrer dans les mœurs et la pensée évolutive de leur temps. Depuis le début du 20e siècle, un regain d’intérêt pour ces Règles se fait sentir et les études se multiplient nous faisant redécouvrir la richesse de ces trésors cachés.


Regula Solitariorum

Règle des solitaires


Rédigée vers l’année 900, la Règle des solitaires est la première écrite à l’usage de reclus vivant à l’intérieur de leur communauté monastique. Elle reflète la plupart des traités de vie érémitique rédigés au cours du Moyen Âge.

L’auteur du nom de Grimlaïc était moine, possiblement prêtre, et vivait à proximité de la ville de Metz, dans la région de Lorraine au nord-est de la France.

Les soixante-neuf chapitres de la Règle des solitaires couvrent d’abord les fondements de la vie contemplative: prière, Office Divin, Eucharistie, Lectio divina, lecture, travail, etc… L’on reconnaît la Règle de saint Benoît souvent adaptée au contexte de vie des reclus, ce qui fait dire aux recherchistes, que Grimlaïc en avait une ample connaissance. L’on retrouve aussi les Lettres de saint Jérôme et de saint Augustin, des citations de saint Basile, de saint Grégoire et de saint Isidore de Séville.


Selon une étude récente, les chapitres 8 à 28 reflètent davantage la pensée de l’auteur. L’humanisme que l’on y retrouve, la modération, la connaissance des faiblesses humaines, l’humilité du cœur s’inscrivent dans une expérience personnelle de vie solitaire que l’auteur ne néglige pas afin d’en faire bénéficier les autres.


S’il s’attarde aux détails de la nourriture, des vêtements, du sommeil, de la maladie, des contacts avec l’extérieur, pour n’énumérer que ceux-là, c’est pour que le reclus acquiert une paix intérieure, sachant comment composer avec tous ces éléments. Plus encore, c’est pour faciliter la participation du corps aux mouvements de l’esprit qui lui, cherche et ne désire que l’union aimante avec son Dieu. C’est aussi dans cette Règle que nous apprenons l’existence de l’hagioscope dans la cellule des reclus, cette ouverture donnant sur l’autel, ce qui leur permettait d’assister à la messe et aux offices.


* En 2011, le moine Andrew Thornton, o.s.b. de l’Abbey Saint-Anselme aux États-Unis, publie une première traduction anglaise de la « Règle des solitaires » de Grimlaic.


De Institutione Inclusiarum

La vie de recluse

Cette Règle écrite par Aelred de Rievaulx vers 1158 pour sa sœur recluse, est une adaptation de la règle bénédictine entrelacée d’interprétations cisterciennes. Aelred fait partie de la première génération de moines cisterciens, avec Bernard de Clairvaux, Guillaume de Saint-Thierry et Guerris d’Igny. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont: La Vie de recluse, La prière pastorale et L’amitié spirituelle. Mais avant tout, il est un prédicateur. Et c’est grâce à la demande de ses auditeurs qu’Aelred écrit avec le même ton direct et vivant.


Sa sœur recluse a dû insister pour rédige cette Règle. À son époque, le mode de vie de recluse connaissait un relâchement, ce que Aelred ne se gêne pas de dénoncer vivement. C’est pourquoi il appuie beaucoup sur l’observance du silence et de la solitude, ainsi que sur la chasteté du corps et de l’esprit. La recluse est d’abord retirée pour garder la mémoire de Dieu au milieu des siens; si elle ne s’y consacre pas, qui le fera, demande-t-il?

Le moine cistercien passe en revue tous les aspects de la vie spirituelle et temporelle: jeûne, charité, prière, travail, etc… en lien avec la vie d’une recluse. La nouveauté introduite par Aelred est l’accent qu’il met sur la méditation des Écritures: Rien ne chasse et ne réprime mieux les pensées inutiles que la méditation de la Parole de Dieu (no20).


Dans la troisième et dernière partie de sa Règle, intitulée « La triple méditation », Aelred invite à considérer ce que le Christ a fait pour nous dans le passé, le pardon qu’il nous accorde en cette vie et le bonheur qu’Il nous promet pour la vie future. Dans sa première méditation sur les bienfaits passés, l’auteur contemple des scènes évangéliques commençant à l’Annonciation jusqu’à l’apparition à Marie-Madeleine au matin de la Résurrection.


Cette méthode de se représenter les faits et gestes du Christ, de s’y rendre présent et de prendre part au drame comme si nous y étions, est unique au XIIe siècle. En germe chez saint Bernard, Aelred la développe d’une manière soutenue. Elle aura une influence chez saint Bonaventure (1221-1274), ainsi que chez Ludolphe le Chartreux (1295-1377) qui a cité textuellement Aelred dans Vita Christi (La  Vie du Christ) lue par saint Ignace (1491-1556) lors de sa convalescence et qui lui-même développe la même méthode dans la 2e semaine de ses Exercices spirituels.

En exhortant sa sœur recluse à se livrer à cette méditation savoureuse, Aelred l’invite à restaurer en elle la mémoire vivante du Christ. La mémoire devient alors le lieu de la Présence Divine.


*En 1961, la Règle est publiée pour la première fois en français dans la Collection Sources Chrétiennes no 76, par Charles Dumont o.c.s.o., moine cistercien de Scourmont. Neuf manuscrits sont aujourd’hui conservés en Angleterre et en France datant du XIIe au XVe siècle.


Ancrene wisse

Règle des recluses

Aussi appelée Ancren Riwle, cette Règle composée au début du 13e siècle était destinée à trois sœurs d’Angleterre vivant retirées du monde. Ces recluses occupaient une toute petite maison attenante à une église; de la fenêtre de leurs cellules, chacune pouvait participer aux Office liturgiques et adorer le Saint-Sacrement exposé sur l’autel. La Règle nous dévoile la jeunesse de ces trois sœurs, et l’auteur les félicite d’avoir choisi une voie considérée comme austère.

L’auteur anonyme a divisé son œuvre en huit parties. La première traite des dévotions et de la vie liturgique des recluses, et la huitième décrit des normes concernant la nourriture, le vêtement, les contacts avec le voisinage. Ensemble, elles forment le cadre du traité tels les murs d’un reclusoir.

La deuxième partie donne le sens de toute la Règle: la garde du cœur.

Les parties trois à sept développent ce thème comme cinq branches d’un même arbre correspondant aux cinq sens. Dans la quatrième partie, où l’auteur aborde la tentation, il met en garde celles qui désirent avancer dans la vie de Dieu: Celui qui escalade une montagne est plus souvent tenté; car plus haut est la montagne, plus fort est le vent.

La sixième et la septième parties forment le cœur de la Règle traitant de la pénitence et les raisons d’aimer Jésus. Mais toutes ces consignes sont subordonnées à la conscience et l’auteur rappelle aux recluses que l’Évangile passe avant tout.


Parmi les sources patristiques utilisées dans ce guide, nous retrouvons saint Augustin, saint Jérôme, Cassien, saint Grégoire et saint Anselm. L’auteur puise abondamment dans les écrits de saint Bernard et s’inspire de la règle écrite peu avant par Aelred de Rievaulx pour sa sœur recluse.


Rédigée en semi-saxon, la Règle des recluses a été lue jusqu’au 16e siècle et plusieurs manuscrits sont aujourd’hui conservés, dont le plus ancien au Collège Corpus Christi, à Cambridge, à Londres. Quatre versions françaises et quatre versions latines existent également. La première traduction en anglais moderne date de 1853 et est de James Morton. En 1955, Mary Salu en a fait une deuxième traduction.


* En 1991, la « Règle des recluses » est publiée par Anne Savage et Nicolas Watson, avec quatre autres textes de la même époque ayant le même sujet. Dans le livre Anchoritic spirituality / Ancrene Wisse and associated works, la Règle est présentée de la page 41 à la page 207.


de vita inclusarum

Livre de vie des recluses

Louis-Albert Lassus o.p., auteur d’une livre sur la recluse Nazarena (Éditions Sainte-Madeleine 1996), découvre l’opuscule intitulé Livre de vie des recluses de Denys le chartreux. Emballé par cette découverte, il décide d’en faire la traduction du latin au français. C’est ainsi que ce merveilleux traité sort de son enfouissement parmi les quarante-deux volumes écrits par Denys le chartreux.

Ce moine, né en 1403, entre à 21 ans à la Chartreuse de Ruremonde dans le Limbourg néerlandais au Pays-Bas. Tout au long sa vie, son talent d’écrivain sera mis au service de sa riche expérience spirituelle mûrie dans la prière solitaire. Selon Louis-Albert Lassus, Denys a acquis, au cours des siècles, la réputation de tenir une sorte de juste milieu entre la manière des Pères de l’Église et celle des modernes.


C’est à la demande de l’une de ses filles spirituelles, une recluse d’un certain âge, que Denys écrivit ce livre de vie:

J’ai décidé de répondre à ton désir et j’écris ces quelques lignes sur la vie des recluses pas tellement pour toi, riche déjà de tant d’expériences, que pour les jeunes qui commencent cette grande aventure.

(article I)

Ces « quelques lignes » forment dix-neuf articles précédés d’un prologue dans lequel l’auteur lance sa réflexion: Plus l’homme sera libéré… plus il deviendra capable de la consolation de Dieu. Afin d’unifier l’être dispersé par le péché, le solitaire exhorte sa recluse à fixer constamment son regard sur la Passion du Christ (Article III).


L’auteur explique ensuite le sens de la réclusion: Plus la recluse se dégage des multiples obstacles à l’amour de Dieu, plus elle se consacre à un amour plus pur, plus stable, plus libre, et ardent à l’égard de son Seigneur (Article IV).


Pour le chartreux, la cellule solitaire est conçue de telle sorte que les œuvres de Dieu puissent y être accomplies: la contemplation, l’amour, la compassion à l’égard du monde entier et la bonté envers toute créature (Article VIII). La recluse est donc appelée à devenir comme Celui qu’elle contemple pour l’incarner au milieu de ce monde.

La ressemblance est condition de l’amour et motif de l’union de deux êtres. Si nous voulons plaire à Dieu, il faut tout faire pour lui devenir semblables (…) Dieu est essentiellement amour et sagesse. Voilà ce à quoi nous allons nous assimiler et c’est bien là le fruit de la contemplation (Article XVIII).

Toutes les consignes données par Denys à la recluse sont au service de cette transfiguration amoureuse.


* En 2003, la traduction française de Louis-Albert Lassus o.p. est publiée dans la collection « Spiritualité cartusienne ».


  1. Clotaire Lado Zowa

    Bonjour,
    Merci beaucoup pour cette synthèse sur les règles des recluses. Ce sont de véritables trésors spirituels comme vous le dîtes. J’aime beaucoup cette phrase:
    “Celui qui escalade une montagne est plus souvent tenté; car plus haut est la montagne, plus fort est le vent.”

    Comme elle est vraie!

    Bon temps de carême!