L’Eucharistie: mémorial du Christ(1)

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L’EUCHARISTIE

MÉMORIAL DU CHRIST

 1ère Partie

La première partie de cette réflexion sur l’Eucharistie – mémorial du Christ, partira de cette affirmation dans saint Paul (1 Co 11), à propos du rappel de la soirée du Jeudi Saint. Deux fois, soit au sujet du pain, soit au sujet de la coupe de vin, Paul répète les paroles qu’il prête à Jésus : « Vous ferez ceci EN MÉMORIAL DE MOI ». Et dans saint Luc, sur la coupe de vin, on rappelle les paroles que l’on met sur les lèvres de Jésus : « Faites ceci EN MÉMORIAL DE MOI ». D’après les textes anciens, Jésus demande que son geste du Jeudi Saint soit réitéré.

 

Détail d’un vitrail – Église Saint-Barthélemy – France

EN MÉMORIAL

De quel mémorial, de quelle mémoire s’agit-il? « Mémorial » est un vieux mot français peu utilisé aujourd’hui, mais qui traduit le vrai sens des textes de saint Paul et de saint Luc. La tradition liturgique utilise plutôt le mot « mémoire » : « Faites ceci en mémoire de moi ». Quand on emploie ce mot, qu’est-ce que cela veut dire? Il ne s’agit pas de souvenir : je garde un bon souvenir de ce voyage, de cette rencontre, de cette visite…

Le mémorial est la proclamation de l’œuvre unique ou de l’acte unique, accompli une fois pour toutes dans l’histoire du peuple de Dieu. Cet acte unique, qui ne peut pas se recommencer, est présenté comme un acte souverainement efficace, un acte qui rayonnera jusqu’à la fin des temps, un acte qui domine les espaces et l’histoire. Voilà l’idée biblique du mémorial.

Mémorial de la Première Alliance

Par exemple, l’alliance faite au Sinaï est scellée par ce repas où Dieu a invité à sa table Moïse, Aaron et les soixante-dix anciens représentants du peuple. Ce repas d’alliance est un acte unique; on ne recommence plus l’alliance du Sinaï, on ne recommence plus le code de l’alliance symbolisée par les deux tables de la Loi. Et cependant, d’année en année, le peuple célébrait la fête de la Pâque. Non pas pour simplement évoquer l’année merveilleuse où Dieu avait libéré leurs pères de la terre d’esclavage de façon à les amener à la sainte montagne où il ferait alliance avec eux, mais pour revivre ce moment unique qui est l’acte fondateur du peuple d’Israël en tant qu’il est le peuple de Dieu. La Pâque annuelle devient donc un MÉMORIAL de cet événement unique qui transcende, qui dépasse les années, les siècles, les millénaires qui se sont déroulés. Et la force de cet acte unique est donnée au peuple. On revit cela authentiquement, on est l’être, le pèlerin quittant la terre d’Égypte, pèlerin dans les chemins du désert, sous la conduite de Dieu, pour revivre les étapes de l’alliance faite une fois pour toutes au Sinaï.

Mémorial du Christ

Si l’Eucharistie est le mémorial du Christ, cela signifie que ce que Jésus a fait le Jeudi Saint demeure présent et lorsque la communauté, l’Église, célèbre le pain, le vin, les paroles avec les réalités laissées par Jésus, elle ne fait pas un saut dans le pain et vinpassé, mais actualise ce qui s’est vécu à la dernière Cène. Cette actualisation n’est pas pour dire que le Christ demeure fidèle à son Église, mais que le Christ demeure fidèle à lui-même, c’est-à-dire que ce qu’il a donné reste et demeure donné. Évidemment, si le Christ reste fidèle à lui-même, il reste fidèle à son Église. Mais notre tentation est toujours de polariser les choses sur nous-mêmes. Si le Christ est fidèle à nous, à son Église, c’est parce qu’il est d’abord fidèle à lui-même.

Au point de vue biblique, nous avons des richesses dans cette notion de fidélité. Quand nous lisons: « Moi je suis fidèle, je me dois à moi-même d’être Yahvé et, par conséquent, j’aurai un comportement vis-à-vis de mon peuple… », c’est très intéressant. Quand Dieu pose un acte, il se lie lui-même; il doit être fidèle à lui-même et par conséquent, il sera fidèle au contenu de son acte à l’égard de son peuple. C’est exactement ce qu’il faut penser lorsque nous lisons: « Faites ceci en mémoire de moi ». Rappelons-nous les titres du Seigneur dans l’Apocalypse: « Je suis le Fidèle », « Je suis le Vrai ».

Don à une communauté rassemblée

Autre point, c’est au sein d’une communauté rassemblée que le Christ célèbre le mystère du pain et du vin, le Jeudi Saint. Le mémorial ne peut être célébré que dans cette réalité d’une communauté rassemblée. Les paroles des Évangiles synoptiques s’appliquent ici éminemment: « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon Nom, je suis au milieu d’eux » – je le suis par ma Parole, par la puissance de mon Esprit, par le mystère du pain et du vin. C’est toujours le sens du mémorial où Dieu se souvient de lui-même:

Souviens-toi, Seigneur, de toi et souviens-toi de nous.
Souviens-toi des dons que tu as faits à David, souviens-toi de ce que tu es,
souviens-toi que tu es Dieu, que tu es le Christ et Sauveur.

Il n’est pas possible qu’il y ait un don de mémorial qui ne soit pas un don dans une communauté. Cela ne vise pas un individu, mais tout le peuple de Dieu. Et par conséquent, il sera toujours célébré dans la dimension ecclésiale. Même si on se trouve en temps de persécution où seulement deux ou trois chrétiens peuvent se réunir, ils célèbrent dans la communion de toute l’Église.

Faites cela en mémoire de MOI

Trop souvent on a axé la réflexion sur le mystère de la passion du Christ, sur le Golgotha. Ce n’est pas faux, mais c’est peu à côté du « MOI », car c’est toute la personne du Christ qui est là, tout son être. Et toute sa personne saisit l’ensemble de ce qu’il est en tant que Verbe incarné: depuis l’instant de sa conception par le Saint-Esprit dans le sein de Marie, de son incarnation, jusqu’à son entrée dans la gloire et même jusqu’à la donation de l’Esprit faisant également partie de sa mission messianique. Comme l’ont dit nos maîtres de l’École française de spiritualité – Bérulle, Condren, Olier, saint Jean Eudes, le Père Lallemant, saint Vincent de Paul – toutes les étapes de la vie terrestre de Jésus sont présentes, tous ses actes, tous ses sentiments. La liturgie lyonnaise reprenait cette notion dans une prière d’offrande dite juste avant la prière eucharistique:

Nous allons entrer dans la célébration sacramentelle « in memoriam » de l’Incarnation, de la Nativité, de la Passion, de la Mort, de la Résurrection, de l’Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ et du don du Saint-Esprit.

L’attention que nous avons portée, dans la piété et dans les formes liturgiques, au mystère du Golgotha ne doit pas demeurer l’élément central du mystère eucharistique. Non pas que nous nous soyons trompés. Je sais bien que d’après saint Jean, le mystère du Golgotha signifie le point culminant, le moment où Jésus peut dire: Ça y est, la plénitude est atteinte. Puisque d’après Jean, c’est à ce moment-là qu’a lieu la Pentecôte, que Jésus transmet l’Esprit. Mais je ne voudrais pas qu’on réfléchisse sur le mémorial du Seigneur en axant trop notre réflexion sur ce mystère. Nous risquerions de déséquilibrer la totalité du mystère que représente l’Eucharistie.

 

Prochain article: Deuxième partie – Comment célébrer ce mémorial

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Cette série de réflexions sur le mystère eucharistique sont des extraits de conférences données à la communauté par le Père Pierre Michalon, sulpicien de France (1911-2004). Il a été expert au Concile Vatican II dans le Secrétariat pour l’unité des chrétiens et directeur du centre Unité chrétienne à Lyon de 1954 à 1991.