L’EUCHARISTIE
OUVERTURE À LA MISSION
Première partie
Eucharistie et mission
D’après saint Jean, lorsque Jésus arrive au Cénacle, c’est pour signifier que l’heure est venue de passer de ce monde à son Père. L’évangéliste insiste: « Avant la fête de Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, lui qui avait aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. Sachant qu’il était sorti de Dieu et qu’il allait à Dieu, alors il se lève, pose son manteau… »
Cette insistance sur Pâque comme fête du PASSAGE rappelle évidemment la première Pâque, passage de la terre d’esclavage en Égypte à la terre de liberté, celle que Dieu donnait à son Peuple: la terre de Canaan.
Jésus, précisément, passe de ce monde à son Père. C’est l’heure de la puissance des ténèbres. Mais Jésus passe de ces ténèbres pour aller à la vie, à la lumière. Il va opérer la libération du monde entier, et tout d’abord de tous ceux et celles qui croiront en lui et qui se donneront à lui. Le Christ, en passant de ce monde à son Père, a opéré une libération du péché, de la mort et de l’impuissance de la Loi. Ce qu’il y a de remarquable c’est que, comme la première libération d’Égypte pour entrer dans la Terre promise avait fait d’Israël un PEUPLE TÉMOIN, le Christ, en opérant ce passage de la mort à la vie, de ce monde à son Père, va instituer en sa personne et à l’intérieur de sa personne un PEUPLE TÉMOIN de tous ceux qui vivront de lui.
Or chaque Eucharistie célébrée signifie ce PASSAGE de Jésus à son Père; et par conséquent, chaque fois, l’Église est appelée dans son être profond, à être le Peuple Témoin. Elle ne peut pas rester repliée sur l’acte liturgique qu’elle accomplit. Par le fait même qu’elle célèbre l’Eucharistie, immédiatement elle découvre qu’elle est envoyée à plus grand qu’elle-même, elle est envoyée vers le Père. Mais le Père la renvoie au monde. N’oublions pas que, dans la prière appelée « sacerdotale », Jésus dit:
« Comme tu m’as envoyé, moi aussi je les ai envoyés dans le monde. »
Par conséquent, chaque fois que l’Église participe à la célébration eucharistique, elle prend l’engagement de partir vers le monde, de ne pas s’enfermer dans un ghetto pour préserver le trésor qu’elle reçoit, mais elle doit courir sur les routes du monde pour crier le message. L’Église passe sans cesse des ténèbres à la lumière pour que cette lumière soit dressée sur le monde. Elle se nourrit d’amour, non pas pour vivre repliée sur cet amour donné par le Père en Jésus Christ, mais pour rayonner cet amour en le livrant au monde.
Allez, vous serez mes témoins
L’Eucharistie OUVRE l’Église à l’immensité du monde, ce monde qui apparaît comme un monde racheté, sanctifié, un monde vivifié par le Christ. Par conséquent, célébrant l’Eucharistie, l’Église est en train d’agrandir son cœur et sa pensée à la mesure de la charité du Christ ou plutôt, à la mesure de la charité du Père, dans le Christ. De cette façon plus l’Église vit de l’Eucharistie, plus elle accroît cette capacité de discerner l’amplitude de l’amour du Père pour le monde. Elle se fait un cœur plus vaste, de plus en plus en harmonie avec le cœur du Père, révélé en Jésus-Christ. Elle sera de plus en plus saisie par l’Esprit, puisque c’est l’Esprit qui fait tout dans la célébration eucharistique; il vivifie les paroles de la célébration de la Parole et il vivifie le sacrement dans la célébration du pain et du vin.
L’Eucharistie donne à l’Église des yeux pour voir plus grand, plus loin. Jésus disait à ses disciples: « Bienheureux les yeux qui voient ce que vous voyez et les oreilles qui entendent ce que vous entendez. Bien des rois et des prophètes ont désiré voir et entendre et n’ont pas vu, n’ont pas entendu. » L’Église est là, devant ce mystère total du Christ qu’elle célèbre dans le mystère du pain et du vin et cela lui ouvre les yeux pour voir les choses qui se passent dans le monde, les événements où Dieu agit, les éléments qu’il transfigure, à travers le poids du péché, le poids de la mort, afin de voir « la petite sœur espérance » (expression de Péguy) que Dieu fait grandir. L’Église est obligée de voir cela, obligée de voir tout ce qui est beau, tout ce qu’il y a de transparent en y voyant la sainteté de Dieu se réaliser à travers ce monde.
L’Église sait que toute Eucharistie saisit tout le mystère du Christ et par conséquent le mystère du monde tout entier. Elle a un immense désir: c’est de rapporter à la réalité eucharistique, à la réalité de ce qu’elle est, elle, corps du Christ, toutes ces beautés, toutes ces transparences, toutes ces saintetés que Dieu réalise partout. Non pas pour qu’elle paraisse plus triomphante; mais parce que l’Église sait très bien que, si elle est le signe de l’amour de Dieu levé sur le monde, il faut que cet amour devienne un AIMANT tellement puissant qu’il puisse, en quelque sorte, agglutiner autour de lui tous ces éveils d’amour, de sainteté qui passent par des moyens que l’Église ne connaît pas mais que Dieu réalise.
La grâce du Seigneur investit tout homme, toute femme jusqu’à la dernière seconde de son existence. « Dieu veut le salut de tous les hommes », nous dit l’Écriture. Il ne refuse jamais sa GRÂCE, son AMOUR, à quiconque. Alors l’Église, par l’Eucharistie – puisque tout le mystère du Christ est là – a les yeux ouverts pour discerner toute l’œuvre d’amour et de lumière que le Seigneur réalise, par des moyens que nous ne saisissons pas. Cela donne à l’Église, une espèce de liberté, d’humilité, parce qu’elle voit bien que le Seigneur passe au-delà d’elle-même. Elle sait que l’Eucharistie est plus grande qu’elle et alors elle découvre que cet amour qui entoure le monde entier est plus grand qu’elle-même.
Puisque l’Eucharistie donne à l’Église des yeux pour voir les joies, les souffrances, les appels, elle les saisit et les porte en elle. Toutes ces communautés humaines, ces foyers, ces races, ces cultures, elle palpite à leurs souffrances parce que cela fait partie, précisément, de l’Eucharistie.
Deuxième partie le mois prochain:
Évangéliser et la pauvreté des moyens
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Cette série de réflexions sur le mystère eucharistique sont des extraits de conférences données à la communauté par le Père Pierre Michalon, sulpicien de France (1911-2004). Il a été expert au Concile Vatican II dans le Secrétariat pour l’unité des chrétiens et directeur du centre Unité chrétienne à Lyon de 1954 à 1991.